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Pourquoi, une «bibliothèque paysanne» ? Hein ? D’abord, c’est pas son métier ! Et puis, il a pas les compétences !
Pourquoi donc se mêlerait il de répondre à toutes ces personnes en quête d’information sur leur nourriture (et la façon dont elle est produite), à celles envisageant de «changer de vie» par une installation en agriculture ?
Alors que y’a plein de belles vidéos dispos tout partout ! ? Et une rimbambelle de bouquions sur les sujets porteurs chez Actes Sud ! ? !
Et ben c’est tout simple :
Le contexte l’impose !
Dans notre contexte contemporain de diffusion large et rapide par internet, les Biaux Jardiniers se désolent d’entendre régulièrement dans les conversations sur l’agriculture en général et l’Agriculture Biologique en particulier, les débats, etc… des points de vue sur l’agriculture biologique à la fois très très tranchés et très peu fondés sur une réelle connaissance du terrain comme des règlementations. Points de vue cependant affirmés avec aplomb… avec référence aux vidéos, souvent aussi belles que courtes (mais il existe aussi, dans le genre, des films plutôt longuets…), vantant - et bien évidemment vendant ! - des méthodes miraculeuses accompagnées de stages, livres, développement personnel, etc…
Pourtant, pendant les dernières décades du XX ème, le sujet paysan - et de la Bio particulièrement - ne touchait qu’une toute toute toute petite minorité…
Rappel
Quand ils se sont installés en Bio contrôlée fin des années 70, seules moins de 2 000 fermes étaient recencées en Bio en France (SOURCE), et les Biaux Jardiniers faisaient partie des largement moins de 200 titulaires de la mention Nature et Progrès… Nous étions, (de même que nos collègues en Bio à cette époque) le plus souvent considérés avec mépris, bien évidemment, par l’agriculture officielle, ses salariés et ses pratiquants. Mais aussi par les milieux associatifs, écologistes ou politiques «progressistes» du haut des certitudes que leur apportait leur capacité d’analyse ou leur culture écologique livresques. Nous étions considérés comme des petits malins - voire des «ennemis de classe» - qui vendaient «aux bourgeois» (= les autres), à un prix inaccessible au salarié (= le militant progressiste parlant) ; nous profitions du manque de concurrence… qui rend la vie moins chère (au militant progressiste parlant…).
Cette répartition des rôles n’étonnera que ceux qui ont oublié que la disparition de la paysannerie française des années 1960 / 1970 a été théorisée et réalisée par les modernisateurs progressistes des mouvements catholiques, par des techniciens illuminés par les visions de confort, de modernisation des archaïsmes, (avec l’aide de l’efficacité de la chimie notamment) etc….(Il suffit souvent à bien des administrations de se penser au dessus du vulgaire pour simultanément se prétendre l’avant garde qui éclaire le bas peuple… et quand de plus la progression de carrière en dépend…)
Et puis…
C’est sans doute une des conséquences positives de la crise de la vache folle, du démontage du Mac Do de Millau, de l’incarcération des Bové, Riesel, etc… 20 années après la dénonciation de l’utilisation des hormones de croissance dans l’élevage du veau par Bernard Lambert et les collectifs de Paysans-Travailleurs…
Depuis le début des années 2000, nombre de nouvelles crises sanitaires ont fait prendre conscience aux consommateurs, et parmi eux aux progressistes, que les paysans étaient des travailleurs. Des travailleurs éventuellement même organisés, voire notamment syndiqués ! Donc prendre conscience du rôle déterminant des paysans dans la marche de la société (et par ex que la qualité, voire le prix, de l’eau potable pouvait être déterminée par la qualité de l’agriculture). Et que la qualité de l’agriculture -subventionnée - pouvait devenir une revendication de l’ensemble de la société, donc - aussi - des cosommateurs.
Pour beaucoup de ces progressistes, ce fût une révélation ! aussi brutale que bien tardive : ce qu’ils mangent n’était pas uniquement un objet de consommation avec un prix bas !… (le prix bas devenant d’ailleurs un genre de revendication politico-syndicale, donc progressiste elle aussi, permettant une élévation du pouvoir d’achat et de la consommation de loisirs : c’était aussi une nourriture, produite par des travailleurs… et dans un milieu.
Prise de conscience que l’action de production de ces travailleurs agissait sur le milieu de vie de tous… urbains compris !
L’agriculture devint sujet de société. Mais…
…mais… les paysans Bio en général, et les paysans-maraîchers Bio en particulier, ne consacrent (généralement) que TRÈS peu de moyens à la diffusion du résultat de leur expérience, et de ce qu’est leur vie réelle comme ce que sont leurs choix collectifs,
… mais… leurs structures professionnelles ont elles aussi bien peu de moyens pour faire connaître la réalité ! Ça n’est d’ailleurs pas directement leur mission que de faire de la pédagogie pour non agriculteurs.
Alors les pros des médias s’en chargent à leur place. Et se généralisent chez les consommateurs, maintenant flattés par la publicité sous le nom de «consomm’acteurs», bien des idées fausses, (par exemple faisant croire à un parallèle possible entre jardinage amateur et production maraîchère professionnelle ; ou entre éteindre la lumière en sortant et engagement citoyen ; voire entre soutien financier de fin d’année déductible du revenu imposable (quand on a la chance qu’il soit suffisant pour l’être…) et désobéissance civile ! Et tout cela de façon fondamentalement individuelle.
Ou bien le point de vue moraliste et dépolitisé consistant à penser que si un agriculteur «traite» (avec son «gros tracteur») c’est parce que c’est un méchant qui fait du mal…
Conclusion :
Les marchands de rêve ont voie libre !
Le «combat» de l’info
honnête ( = 1° vérifiée par le temps et / ou l’enquête sur le terrain 2° qui n’a rien à vendre) est donc inégal.
Les Biaux Jardiniers, de leur coté, au delà
- de la relation suivie avec les abonnés à leurs paniers,
- de l’organisation au jardin de portes ouvertes (toujours sans vente liée),
- de journées d’information technique pour professionnels (que les structures du réseau peuvent organiser chez nous)
tentent de décrire sur ce site et de diffuser (gratuitement) leur réalité paysanne concrète, de partager celles de leurs pratiques Bio «qui fonctionnent» et par là d’offrir non seulement à leurs abonnés de paniers, mais à tout visiteur de ce site, un ensemble d’éléments suffisamment détaillés et expérimentés. (Voir aussi notre livre «visitez la ferme»).
De plus…
- …par l’évolution de la pyramide des âges et de la pénibilité des métiers, de plus en plus nombreuses sont les personnes ayant suivi des études supérieures et qui terminent leur carrière professionnelle en bonne santé physique comme intellectuelle et financière. Et qui ont donc tous moyens pour militer bénévolement dans le mouvement associatif. D’autre part,
- … par la décentralisation de l’état national, de nombreuses régions ont fait le choix politique de financer des postes de salariés dans des structures dites «de la société civile» qui ont choisi de développer leur appareil afin de répondre à la demande politique financée. Et donc par conséquent aussi d’en dépendre.
Il y a donc de plus en plus d›«associations» chargées de développement rural, local, durable (etc…)
- peu fournies en adhérents (maintenant baptisés «bénévoles»)
- gérées par des salariés proportionnellement plus nombreux et qui ont très rarement une expérience paysanne
- dirigées par des administrateurs jeunes retraités sûrs de leurs compétences en matière agricole, voire de gestion foncière ou de développement local et rural, alors qu’ils n’en ont sauf exception, aucune expérience professionnelle de terrain.
Ces structures, convaincues de leur savoir par leur seule existence même, non seulement diffusent bien des affirmations par le simple fait qu’elles leur semblent validées par l’air du temps, le buzz, mais surtout (et le danger est identifié) jouent le même rôle que leur ascendants progressistes des années 1960 / 1970. Et parlent de fait au nom des producteurs eux-mêmes. À leur place, car elles seules en ont le temps.
Faute de «faire de l’humanitaire» pour «aider ceux qui ne sont pas développés», on adopte le même genre de pratique paternaliste. Avec les meilleures intentions du monde ! (dont nous savons que l’enfer est pavé).
Ainsi donc s’est développé un nouveau secteur para-agricole progressiste visant à moderniser l’agriculture pour la rendre durable et «locale» (1). Souvenons nous que les chambres d’agriculture ont installé le même type de développement dans les années 55/70 ! Qui n’a jamais rencontré de ces «militants» au choix : naturalistes (avec treck - pédestre, évidemment à l’autre bout du monde), de l’écologie (n’ayant que fort rarement risqué le moindre capteur solaire sur le toit de la maison pour la douche), du développement local et de la relocalisation (n’ayant jamais entamé la moindre action productive de nourriture ou autre nécessité), etc… tous avec très peu d’analyse concrète globale des divers éléments des situations qu’ils «jugent» avant d’y intervenir doctement.
Un des problèmes supplémentaires étant que les quelques décideurs de ces structures sont fréquemment de ceux qui ont eu, du temps de leur jeunesse, l’envie de s’installer… mais n’ont jamais pris le risque de franchir le pas… la «douceur» de la retraite permet alors de compenser !
Les groupes d’appui à tel secteur ont souvent réussi à se substituer aux secteur concerné. ET souvent les mêmes retraités plongés dans ce «bénévolat» se plaignent que «les jeunes ne se bougent pas», «les gens concernés ne viennent pas»… Mais comment le feraient ils dans ce contexte ?
D’autres ont même eu l’idée, en tentant de se positionner comme passage obligé entre les «consomm’acteurs» et les paysans, de s’instituer comme gardiens du temple de l’éthique agricole solidaire et équitable… tentative qui a heureusement fait long feu : les mangeurs, et peut être surtout les paysans, ont eu l’expérience de ces intermédiaires qui, en concentrant entre leurs mains l’offre «éparpillée» et la demande «éparpillée», se sont fait trop de gras sur leur dos (nos dos).
Beaucoup parmi eux tous ne font que montrer leur ignorance là où ils croient connaître en voulant trop souvent juger ce qu’ils n’ont pas vécu.,
Nombreux sont les jeunes maraîchers (réellement installés sur des fermes viables ET vivables) qui se sentent méprisés par tous ces discours militants, films sur transition lente, permaculture, micro-ferme, agriculture urbaine (sic) et autres gadgets incitant au rêve individualiste et dépolitisé, les prêches vaguement moralisateurs des «philosphes de vie» faisant riche carrière sur «l’humilité». Ces jeunes maraîchers efficaces se sentent méprisés par cette démarche qui nie les compétences que eux, paysans, développent (et en groupe…).
Nous sommes dans une mode rempli de savoirs, et vide de compréhension.
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(1) «agriculture locale» quelle expression bizarre… et bizarre que ce qui est au fond un pléonasme ait un tel succès médiatico-commercial… alors que toute agriculture travaille son territoire local, comme tout agriculteur travaille sur son lieu, alors que ce peut être la consommation d’un territoire (et de ses habitants) qui se trouve (le plus souvent) ne pas être du tout «locale»… De même que les intrants massivement importés nécessaires à la production agricole conventionnelle. Là aussi, les pros de la comm› auront réussi, par le langage à mettre le monde à l’envers ! au moins dans les esprits !! La sémantique n’est toujours pas neutre !